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Sortie au Palais des Papes à Avignon

Les lycéens de la spécialité et de l’enseignement optionnel Arts Plastiques se sont rendus mardi 21 novembre dans ce palais gothique, jadis le plus grand à l’époque médiévale, classé monument historique depuis 1840 et inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 1995. Neuf papes y ont résidé de 1309 à 1418 et ont décidé d’y installer leur pontificat. La papauté n’était effectivement pas encore rattachée au Vatican.

Plus récemment, le lieu, de par ses dimensions monumentales, l’ambiance qui s’en dégage et ses qualités architecturales, sert d’écrin à diverses manifestations culturelles :

  • Notamment, au festival d’Avignon, crée par Jean Vilar en 1947, haut lieu de création international du spectacle vivant, qui transforme depuis plus de 75 ans la ville en théâtre ;
  • À des concerts de musique liturgique et baroque ;
  • Mais également, à des expositions d’artistes qui ont la volonté de faire dialoguer le patrimoine avec des œuvres contemporaines.

Éva JOSPIN a su tirer judicieusement parti de ce mastodonte architectural pour installer de grands décors follement démesurés aux proportions imposantes ou bien de toutes petites œuvres, des mini-mondes dans l’espace architectural. Les élèves ont ainsi pu découvrir comment cette plasticienne interroge le lieu par la mise en scène théâtrale de ses œuvres soit en utilisant une échelle réduite soit une échelle gigantesque.

La question du format XXS ou miniature permet à peu de spectateurs d’accéder à l’œuvre. Le format réduit à ainsi un caractère intime et quasiment confidentiel. L'intérêt de ce format contraint le spectateur à se rapprocher d'assez près. Ce dernier peut d'ailleurs imaginer que l'œuvre lui est uniquement dédiée et qu'il connait une expérience individuelle à la différence des grands formats dont l'appréciation peut être partagée simultanément sous forme d’expérience collective.

À contrario, la question du format XXL et des œuvres qui dépassent largement l’échelle humaine possède un caractère grandiose, voire même remarquable en raison de son importance. L'aspect monumental d'une œuvre se trouve alors dans sa force à étonner le spectateur, à le subjuguer et l'impressionner, à imposer son respect, mais encore, à élever son esprit.

 

Éva JOSPIN fait donc intervenir la notion de scénographie, c’est à dire la mise en scène en fonction d’un espace particulier, d’un lieu bien spécifique. Le palais des papes a donc imposé à l’artiste de s'adapter à de nouvelles contraintes. L'impact de ses réalisations est dès lors toujours différent selon le lieu où celles-ci se donnent à voir, ce qui apporte d'ailleurs un sens supplémentaire à ses œuvres.

Son matériau de prédilection est pauvre et banal puisqu’elle travaille avec du carton qu’elle récupère et recycle. Découpé, sculpté, creusé, collé, la texture de cette matière première lui permet d’obtenir un résultat étonnant puisque le carton se fait pierre. Elle évoque des vestiges appartenant à une architecture passée, des ruines qui nous invitent à la rêverie, des forêts fictives et utopiques, mystérieuses et denses, inquiétantes et impénétrables. La plasticienne est fascinée par la nature et le paysage, la géologie autrement dit le monde souterrain, notamment les habitats troglodytes ou les grottes et les nymphées, les jardins et leurs fabriques ou folies, les caprices appartenant au baroque ou au rococo. Avec elle, le végétal devient minéral : le carton étant un matériau qui lui permet de multiples possibilités d’imitation et de textures grâce à son épaisseur, sa couleur ou son grammage.

Les œuvres d’Éva JOSPIN n’ont ainsi pas laissé les lycéens indifférents : d’abord, parce que sa technique requiert une dextérité impressionnante, ensuite, parce ce que ses outils deviennent littéralement des crayons lui permettant de travailler au plus près de cette matière première qu’est le carton. La transformation de ce matériau de rebus nécessite effectivement à la fois un travail grossier avec des scies sauteuses, des perceuses et des ponceuses, mais également, un travail d’incision minutieux et laborieux qui requiert une grande patience.  Elle cisèle avec une grande maîtrise cette matière vulgaire à la manière d’un orfèvre avec un fein, petit outil avec une lame coupante, une Dremel à tête ponceuse et un cutteur qui lui permet d’obtenir une véritable dentelle de carton. Le travail de la main semble s’être allié avec celui du temps et de l’érosion.

L’artiste fait carton plein avec ses assemblages complexes parce qu’elle parvient à faire entrer le spectateur dans des paysages oniriques et fantastiques apparaissant comme des refuges pour se retrancher dans le merveilleux. Chez elle, la nature est idéalisée. Elle semble réelle mais, c’est bien d’une nature artificielle dont il s’agit : tout est fantasmé et rêvé. Son travail correspond à une nature imaginaire, potentiellement vraisemblable, pourtant crée de toute pièce.

Éva JOSPIN a su instaurer un dialogue avec le monument historique en répondant à l’architecture de la résidence pontificale. Elle a su se réinspirer de l’histoire, de ses strates et de ses oublis en les réactivant. De cette façon, elle interroge la mémoire et hybride plusieurs temporalités.

Pascaline FARESSE - Professeur d'Arts Plastiques


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